"Un point crucial de notre pathologie : la fatigue"
par Anne
La douleur est omniprésente, avec des crises plus fortes que d’autres. On en parle souvent, on nous donne même une échelle pour la « classer ». Mais les médecins, notre entourage, notre patron, ont du mal à prendre en compte un autre point crucial de notre pathologie : la FATIGUE. Même quand on leur dit que ça nous empêche de vivre correctement, la seule chose qu’ils entendent, c’est la douleur.
La fatigue est sournoise, car impossible à évaluer, pas d’échelle colorée pour donner un degré d’épuisement. Elle est quasi permanente, plus ou moins importante selon l’avancement de la journée, l’heure à laquelle je me suis levée, ce que j’ai fait dans la journée, si c’est le jour du traitement de fond… Ça commence avec la vision en baisse d’acuité, des points noirs qui gênent ma vue, la bouche sèche… Et si je ne suis pas partie m’allonger un peu, ça continue : migraines qui peuvent devenir très mauvaises, et des nausées, jusqu’à en vomir…
Il arrive que je préfère refuser de lutter : quelle que soit la situation, même si j’ai du monde, j’essaie de trouver un coin tranquille pour dormir un peu, souvent pas longtemps, mais c’est une NÉCESSITÉ !!! Mais cette solution n’est pas possible lorsque je travaille. Et il m’arrive, lorsque je rentre, de piquer du nez au volant. C’est un stress supplémentaire, une angoisse énorme. J’ai bien essayé de dormir sur le parking, mais les collègues viennent toquer à la vitre pour savoir si je vais bien. Sans compter qu’en hiver, ou lorsqu’il fait trop chaud, ce n’est pas évident.
De plus, dormir ne suffit pas toujours, car faire une sieste, même avec un réveil, retarde le coucher, et le réveil en est décalé d’autant. Je n’arrive plus à faire une nuit complète depuis bien longtemps. Je profite de mes réveils nocturnes pour aller aux toilettes, mais c’est surtout un prétexte pour dérouiller ma carcasse qui ne supporte pas d’être restée longtemps immobile. Il faudrait que je puisse faire ma journée en deux ou trois fois, avec une période d’activité entre deux réveils.
Lorsque j’ai pris mes 4 ans de disponibilité de mon métier de factrice, j’ai pu apprendre à gérer ma fatigue. Je travaillais à mon rythme, le plus souvent à mi-temps, ce qui me permettait de la gérer sans trop de souci. Mais dans une vie active normale (comme j’ai repris), comment faire pour travailler 35/38 h, 6 jours sur 7, tôt le matin (5 h 30, levée à 4 h) dans le déni total de la médecine du travail, qui refuse d’entendre que je suis fatiguée (c’est parce que je ne sais pas m’organiser me répond-on !) ?
Je prépare un concours pour essayer d’atteindre un poste moins physique. Je m’entraîne à des tests de rapidité et de mémoire, je prépare mon entretien devant jury… Je fais cela en plus de mes journées de travail. Je serai en compétition avec d’autres salariés qui n’ont pas ce problème de fatigue chronique. Cela ne va pas être pris en compte pour la sélection du candidat final… Je pars donc avec un double handicap (celui des révisions, et celui du test de sélection chronométré).
La fatigue m’empêche de travailler comme mes collègues : plus lente, je dois aussi être plus attentive à ce que je fais pour éviter les erreurs et ma mémoire est de plus en plus fuyante, ce qui ne me rend pas service et me fait perdre du temps (lorsqu’on travaille en distribution courrier, on doit connaître les rues par tournées, et elles changent environ tous les 2 ans). Ma seule option serait de choisir entre un travail à plein temps, épuisant (voir dangereux), ou démissionner pour trouver un travail à mi-temps, donc bien moins payé, et des cotisations retraites moindres… Ai-je vraiment le choix au final ?
Le fait de ne pas dormir comme les autres, de m’absenter pour une sieste, de me coucher tôt pour être en forme le lendemain, a un aspect qu’on néglige souvent : la vie de couple / de famille qui s’étiole. Je ne vois plus mon conjoint, je pars me coucher après le repas, qu’on prend lorsqu’il rentre. Déjà que la libido s’est fait la malle avec la santé ! Je suis tellement naze le week-end qu’on ne reçoit plus, on décline la plupart des invitations, et les sorties en plein air (la marche pour entretenir le corps) se font de plus en plus rares. Je ne prends plus le temps de faire les mouvements nécessaires au bon entretien de mon corps : tellement fatiguée que l’envie et la forme ne sont pas là. Et puis lorsque le réveil sonne à 4 h du matin, autant vous dire que je n’en ai pas du tout envie : j’ai déjà du mal à me lever !
Pourtant, je m’estime heureuse : je n’ai plus d’enfants en bas âge, d’ados à emmener partout pour leurs sorties ou le sport, et mes parents n’ont pas besoin que je m’occupe d’eux. Je ne sais pas comment les personnes qui ont ce phénomène de fatigue chronique font pour avoir une vie de famille active…